Pâques et le rire de Dieu

L’écrivain et romancier Milan Kundera a fêté ses 80 ans ce printemps. Kundera avait prononcé, il y a quelques temps déjà, un discours à Jérusalem sur l’art du roman. Il y dit ceci :

« Il y a un proverbe juif admirable : L’homme pense, Dieu rit. Inspiré par cette sentence, j’aime imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et que c’est ainsi que l’idée du premier grand roman européen est née. Il me plaît de penser que l’art du roman est venu au monde comme l’écho du rire de Dieu.

Mais pourquoi Dieu rit-il en regardant l’homme qui pense ? Parce que l’homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l’un s’éloigne de la pensée de l’autre. Et enfin, parce que l’homme n’est jamais ce qu’il pense être. »

L’art du roman, Paris : Gallimard, 1986, p. 193


Cette image du rire de Dieu est une image incroyable. Ce rire a pourtant un ennemi : selon Kundera, il porte même un triple visage.

Le premier, c’est celui de ceux qui ne rient pas et n’ont pas le sens de l’humour, ceux que Rabelais appelaient les « agélastes » : « N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire, que tous les hommes doivent penser la même chose et qu’eux-mêmes sont exactement ce qu’ils pensent être. »

Le deuxième, c’est celui de la bêtise humaine, considérée non pas comme une simple absence de connaissances, mais, dans le sens de Flaubert, comme une dimension inséparable de l’existence humaine. La bêtise, c’est en quelque sorte la « non-pensée des idées reçues ».

Le troisième visage de l’ennemi du rire, c’est le kitsch. Le mot kitsch désigne, comme l’a montré Hermann Broch, l’attitude de celui qui veut plaire à tout prix et se complaît dans ce mensonge. Kundera dira dans un de ses romans : « Le kitsch, c’est la négation absolue de la merde. »

Rire à Pâques ?

Qu’on me permette un bref parallèle théologique. Ces quelques lignes de Kundera me semblent permettre un regard fertile sur ces événements relatés non dans un roman cette fois, mais dans des évangiles, et qui se déroulent dans cette même Jérusalem : la mort d’un homme appelé Jésus de Nazareth.

S’arrêter à Vendredi Saint, à la Passion et la mise à mort sur la croix, ce serait reconnaître le triomphe des agélastes, de ceux qui refusent de rire.

Ne voir que la résurrection de Pâques, en écartant la réalité de Vendredi-Saint, ce serait sombrer dans le kitsch.

Mais en rester aux idées reçues sur cette fête, ce serait oublier qu’elle est en fait une formidable mise en dérision de notre bêtise humaine. Ce serait aussi négliger le fait qu’elle donne à penser.

Ainsi, Pâques pourrait être l’interprétation du sens de la croix ; par là, Pâques pourrait être aussi une proposition de sens pour l’existence humaine.

Pâques, c’est en quelque sorte la célébration du « rire de Dieu ». C’est aussi un peu l’occasion de rire de notre propre bêtise. Et éventuellement, à partir de là, de renoncer à dominer les autres et de renoncer à maîtriser ce que nous sommes nous-mêmes, pour nous en remettre à quelqu’un d’autre.

À ce Dieu qui rit ? Pourquoi pas.

Vital Gerber